LA COMPOSITION
PICTURALE
Les marqueurs visuels
Ce que j'appelle "les marqueurs visuels" sont des repères que les peintres installaient
en lien avec leurs lignes de composition. Les marqueurs sont constitués le plus souvent
par des pointes des habits des personnages, des bouts d'étoffe, etc.
Ces repères sont directement visibles par tout le monde sur les peintures.
Par exemple, avec "la liberté guidant le peuple" de Delacroix, plusieurs marqueurs se distinguent. Le coin rouge à gauche du drapeau tenu par Marianne est un marqueur sur lequel s'appuie une oblique parallèle (en violet) au pistolet du jeune garçon. Une autre pointe rouge en bas du drapeau et la pointe du bonnet de Marianne sont deux marqueurs qui calent la ligne de son regard (en rouge). À la page "Analyse de tableau" les nombreux angles de regard de Marianne pointent précisément les armes et les yeux des personnages de cette scène.
Il y a d'autres marqueurs à découvrir dans cette scène de Delacroix.
Delacroix - La liberté guidant le peuple (détail) - Trois marqueurs sont mis ici en évidences par les tracés de composition, d'autres marqueurs sont aussi visibles.
Un autre bel exemple de marqueur significatif avec la Vénus et l'organiste de Titien : la ligne prolongée du couteau de l'organiste pointe le cocher de la calèche dans le paysage. Cette ligne est calée sur le marqueur du rideau rouge. A noter que cette pointe du rideau rouge est juste sur la ligne verticale à l'aplomb du sexe de Vénus. De quoi réjouir les analystes freudien avec le lien entre le couteau de l'homme, le cocher avec ses chevaux fougueux et cette pointe rouge orientée vers le sexe féminin ! Amusez-vous à tracer une parallèle à cette ligne blanche en passant par l'index de Cupidon, le sein et le nombril de Vénus, et ... son sexe.
Titien - Vénus et l'organiste - 1550 - Uffizi Florence - photo guymauchamp - La ligne du couteau se cale sur le marqueur du rideau rouge qui est à l'aplomb du sexe de Vénus.
D'autres types de marqueurs sont possibles : une mèche de cheveux, les phylactères, un parchemin, une plume, une branche, etc...
Par exemple, le Bacchus de Caravage, une branche de feuille de vigne sert de marqueur pour caler un angle à 9° (en bleu) de sa ligne de regard de l'œil gauche (en rouge). Cette ligne de regard est posée sur la grille dorée (trait jaune à droite) et sur la grille carré terre (trait vert) sur le bord du format.
Caravage - Bacchus (détail) - L'angle de regard à 9° (en bleu) se cale sur le bout de la tige de vigne.
Van Der Weyden (ci-dessous) affectionne particulièrement cette technique des marqueurs dans ses œuvres. Les lignes de regard de l'œil droit de Marie pointent quatre marqueurs sur son voile (flèches blanches) et la verticale de son œil gauche se cale sur un autre marqueur au dessus de son œil.
Van Der Weyden - Madona Duran - 1440 - Prado - Cinq marqueurs avec le voile de Marie
Un marqueur aide le plus souvent à voir l'inclinaison d'une ligne de regard, comme ici avec une plume placée par Élisabeth Vigier-Lebrun. L'œil gauche de Mr Calonne se pose sur la plume blanche alors que son regard à 36° (en jaune) pointe la lettre au roi et à 18° (en bleu) son index.
Vigier-Lebrun -Portrait de Mr Calonne - 1785 - Une plume sert de marqueur pour la ligne de regard (en rouge).
Quel est l'utilité et le sens de ces marqueurs ?
LES MARQUEURS DANS LA PRATIQUE ESTHÉTIQUE
Les marqueurs sont toujours placés sur un tracé de composition. Ils répondent donc à la règle générale de composition : TOUT DOIT ÊTRE RELIÉ DANS UNE COMPOSITION PAR DES LIGNES. Ces marqueurs ne sont pas indispensables dans une composition, ils pourraient très bien être retirés, le sujet n'en patirait nullement. Cependant ces marqueurs font partie du fonctionnement visuel, du rythme, de la cohésion graphique.
Les marqueurs font partie de cette règle qui installe une cohérence graphique pour le confort visuel mais aussi pour la compréhension générale de l'œuvre.
LES MARQUEURS COMME AIDE À LA VISUALISATION DE LA COMPOSITION ?
Je me demande encore aujourd'hui si ces marqueurs étaient placés volontairement par le peintre pour faciliter la lecture de sa composition. En effet, après plusieurs années de recherche et de fréquentation des musées de peinture, je commence à discerner certains tracés de composition notamment grâce à ces marqueurs. Mais d'autres fois, ce n'est qu'avec un travail manuel de recherche que je peux retrouver des llignes de composition grâce à un marqueur.
Par exemple, avec ce "mariage de Marie et Joseph" de Raphaël, je me suis penché sur les lignes de regard de Marie. Il était bien compliqué pour moi de trouver l'inclinaison de sa ligne de regard. Je me suis alors rappelé l'usage des marqueurs et Raphaël n'en est pas avare. J'ai donc remarqué cette petite pointe de vêtement rouge au sol derrière la tête de Marie. En tirant un trait passant par ce marqueur et par l'œil de Marie, cette ligne pointe le bout de la tige tenue par Joseph. Cela est tout à fait congruent avec le thème de cette scène puisque Joseph est le premier propriétaire d'une tige fleurie, condition nécessaire pour obtenir le mariage avec Marie. D'ailleurs, au premier plan, un jeune prétendant évincé casse par dépit sa tige non fleurie sur son genou.
Les lignes de regard de Marie tracées à l'aide de ces deux marqueurs pointent alors des éléments signifiants, telle que la bague de mariage et le point focal de la perspective dans la porte du temple.
Raphaël - Le mariage de la Vierge - 1504 - Milan - le regard de la Vierge (en rouge) se cale facilement grâce à deux marqueurs.
La question de savoir si ces marqueurs étaient présents pour aider à la lecture de la composition reste ouverte. J'espère qu'un jour des historiens de l'art se pencheront dessus et découvriront des éléments permettant une interprétation dûment étayée.
Marqueurs avec la technique des lignes verticales
Avec ce tryptique de Van Der Weyden de nombreux marqueurs sont en lien par la technique des lignes verticales en lien avec des points de la première règle de composition.
Van Der Weyden - triptyque de la crucifixion - 1445 - Vienne - la technique des lignes verticales pointe de nombreux marqueurs.
Marqueurs avec les angles préférentiels
Avec ce Benaglio ci-dessous, les deux petits parchemins disposés sur les deux colonnes présentent des marqueurs avec leurs coins cornés. Un coin à gauche forme un angle de 36° (en jaune) et l'autre coin à droite forme un angle à 30° (en vert). Ce sont donc deux angles préférentiels des peintres et tous deux pointent le nœud de la tunique de la Vierge.
Pour vérifier cela, l'angle à 36° est parallèle à la ligne de regard qui passe entre les deux yeux de Jésus, à 36°.
Les parchemins ne montrent pas de texte lisible, ils sont alors à voir comme symboles, tout comme les colonnes ainsi que le nœud qu'ils pointent.
Benaglio - Vierge à l'enfant avec une poire - 1465 - Les marqueurs sont donnés par les coins cornés des parchemins sur les colonnes.
Marqueurs avec la ligne de l'âme
Raphaël propose un marqueur avec un coin de sa coiffe en haut de son œil gauche. Ce marqueur cale la ligne horizontale de l'âme (en violet).
Pour vérifier cela, un angle de la ligne de l'âme à 9° (en bleu clair) est posé sur l'horizontale de la grille du carré terre (en vert), alors que l'œil droit est posé sur la diagonale du carré ciel (non dessiné ici).
Raphaël - Autoportrait - 1506 - la ligne de l'âme (en violet) se cale sur le coin de la coiffe noire.
Sittow a calé la ligne de l'âme de Marie (en violet), le regard à 30° de l'âme de Jésus et le regard à 18° du chardonneret sur la pointe de tissu blanc très en vue sur le front de Marie.
Sittow - Vierge Enfant et chardonneret - 1518 - Prado - Marqueur pour les lignes de l'âme de Marie et Jésus. Photo tracés ©guy mauchamp
Cette technique des marqueurs a perduré au moins pendant trois à quatre siècles. On la retrouve par exemple avec la talentueuse peintre Élisabeth Vigier-Lebrun où son autoportrait montre sans équivoque ce même fonctionnement des marqueurs.
Vigier-Lebrun - Autoportrait (détail) - 1780 - les angles de regard à 9° (bleu), 30° (vert) et 36° (jaune) conditionnent les marqueurs de la coiffe. Un autre angle de regard à 36° pointe le pinceau.
Les marqueurs valident les tracés de composition
Les marqueurs fonctionnent de façon congruente avec trois règles et trois techniques de composition :
- les angles préférentiels
- les lignes verticales
- la technique des lignes de regard
- la technique des lignes de l'âme
- les grilles harmoniques
Cette association des marqueurs avec des règles et techniques déjà démontrées précédement est une preuve de plus de l’existence des lignes de tracés de composition des peintres.
N'hésitez pas à laisser votre commentaire, vos questions en pied de page, mon plaisir est de pouvoir échanger sur la composition picturale. Merci.
Guy MAUCHAMP
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