LA COMPOSITION
PICTURALE
Perspective narrative avec Léonard de VINCI
Comme je l'ai expliqué au chapitre "la perspective narrative", il y aurait, selon mes recherches, a minima deux types principaux de représentation de l'espace et des volumes dans la peinture :
La perspective linéaire La perspective narrative
La technique de représentation de l'espace est parfaite : les lignes de fuite convergent sur un seul point de la ligne d'horizon.
Léonard de VINCI utilise une technique largement employée à son époque avec trois lignes d'horizon, une pour le ciel, une pour la terre et une sur les tiers. L'idée était d'enrichir la technique afin de nourrir le propos de l'œuvre.
Voyons ensemble comment retrouver les véritables tracés (du moins, je l'espère) de la perspective de l'Annonciation de Léonard de Vinci. L'idéal est d'avoir en tête la méthode de travail que je préconise au chapitre de "la perspective narrative". Précaution de rigueur car des dessins erronés de cette Annonciation sont visibles sur le net et peuvent induire en erreur de façon regrettable.
Les perspectives ciel et terre de l'Annonciation de Léonard de Vinci
Léonard De Vinci, Annonciation, 1472, Galerie des Offices Florence, photo Guy Mauchamp
Comme je l'ai montré, la technique pour retrouver les tracés de perspective d'une œuvre consiste à
tracer chaque ligne de fuite en aveugle !
Avec un ordinateur on peut tracer chacune des lignes de fuite sans laisser apparaitre celles que l'on vient de dessiner. N'ayant pas de repère visuel quant à un point de fuite unique, il est plus facile de tracer rigoureusement chacune des lignes sans être influencé. Ce n'est qu'à la fin que l'on affiche toutes les lignes de fuite et qu'on découvre si elles se croisent en un seul point ou non.
Tracé d'une première ligne de fuite, puis en la cachant, tracé d'une autre ligne, et ainsi de suite. Jusqu'à découvrir que ces lignes se rejoignent en un point, ou pas ! Dans le cas d'un point mono-focal, cela permet de tracer une ligne d'horizon.
Notons que la ligne d'horizon pointe l'index de Marie et le front de Gabriel (1re règle de composition).
En traçant méticuleusement les lignes de fuite du bâtiment, il n'aura pas échappé à votre vigilance que 3 de ces lignes dérogent à la technique de la perspective mono-focale. Ces trois lignes "rebelles" sont tracées ci-dessous en rose :
- une ligne presque horizontale part de la tête de lit, passe par un œil de Marie puis se pose sur le haut des ailes de Gabriel.
- une ligne pointe la bouche de Marie puis le centre de l'auréole de Gabriel.
- une ligne pointe le majeur de Marie et le front de Gabriel.
Donc ces trois lignes mettent Marie et Gabriel en relation directe.
On peut dès lors se questionner sur ces trois lignes rebelles. Léonard de Vinci, cet esprit si brillant et précis, aurait-il eu un oubli ou commis une maladresse ? Si on tient compte de ces lignes passant par les yeux, la bouche et un doigt de Marie pour rejoindre Gabriel en respectant la 1ère règle de composition, on se doute qu'il y a là un message mais non élucidé pour l'instant.
Continuons donc notre démarche avec les tracés en aveugle des lignes de fuite situées maintenant sous la ligne d'horizon
La perspective terre de l'Annonciation de Léonard de Vinci
Quatre lignes de fuite du lit et du seuil de la chambre de Marie déterminent une ligne d'horizon passant par le pouce de Marie et le front de Gabriel.
Cinq lignes de fuite du lutrin et du mur rejoignent un point qui est celui du point de la ligne d'horizon ciel.
La perspective des tiers de l'Annonciation de Léonard De Vinci
Une dernière série de quatre lignes qui insèrent la bible indiquent un autre point de fuite situé avec précision sur la grille des tiers (en violet). Cette grille des tiers passe par les auriculaires de Marie et de Gabriel.
Nous pouvons maintenant rassembler tous les tracés de perspective pour les visualiser d'un seul coup d'œil :
Surprise ! Il y aurait trois lignes d'horizon,
et trois lignes de fuite singulières (en rose) !
La complexité des perspectives de Léonard de Vinci se traduit par trois lignes d'horizon dont les lignes de fuite s'entrecroisent et trois lignes singulières qui relient par trois fois les trois points de Gabriel et Marie.
En fait il n'y a pas pour moi de véritable surprise car cette technique de perspective narrative comportant deux ou trois lignes d'horizon était une pratique courante pendant l'époque de Léonard de Vinci. Nous en verrons d'autres exemples par la suite avec des peintres comme Raphael, Del Cossa, Botticelli, etc, qui dessinaient deux, voir trois ou quatre lignes d'horizon selon le même principe.
L'idée était certainement que tout dans une composition soit parlant et congruent avec le thème de l'œuvre. Rien ne saurait se soumettre à la pensée philosophique que tout est en lien et que tout à un sens à l'intérieur d'un tableau.
Dans le cas de cette Annonciation de Léonard, l'unité d'un point mono-focal de perspective est absente. À la place, il y a l'idée d'une trinité présentée à plusieurs reprises avec trois points de fuite, la grille des tiers, 3 fois 3 points préférentiels de la 1re règle avec Marie et Gabriel.
Le croisement de ces lignes de fuite laisse supposer :
- une ligne d'horizon ciel avec des lignes passant par les yeux, la bouche et le majeur de Marie
- une ligne d'horizon terre avec des lignes venant du lit, du seuil de la chambre de Marie
- et une ligne d'horizon des tiers qui relie les auriculaires de Marie et Gabriel.
Enfin, les trois lignes d'horizon autonomes passant par 3 points de Marie pointent le front de Gabriel - le point de l'âme dans la 1re règle de composition - l'auréole et les ailes.
Rappelons que dans le texte biblique de l'Annonciation, les échanges entre Marie et Gabriel sont au nombre de trois.
Trois paroles pour Gabriel et trois paroles pour Marie. Rien de plus ! Pas de colombe ni de Dieu dans le ciel, pas de lumière divine.
Le choix apparemment complexe des perspectives narratives de Léonard De Vinci pourrait par exemple illustrer le mystère de l'Annonciation avec les trois échanges de paroles entre Gabriel et Marie.
L'arrivée d'un enfant divin serait la tierce personne, le lien incarné entre le divin et l'humain, entre ciel et terre.
Cette perspective narrative semble se prolonger avec les trois lignes singulières chargées de sens ; en effet, elles partent du seuil de la chambre de Marie ou de son lit, c'est-à-dire de son intimité, son intériorité. Ces mêmes lignes passent ensuite par ses yeux, sa bouche ou son index...
Il y aurait bien d'autres observations à relever, comme le fait que toutes les lignes de fuite se trouvent du côté de Marie, dans la moitié droite du tableau, alors qu'il n'y en a qu'une seule du côté de Gabriel, et même qu'il n'y a pas de perspective linéaire dans son dos.
Au seuil de cette observation méticuleuse, il appartiendra à chacun de lire et une interpréter cette perspective narrative complexe, car en l'état de mes recherches je ne dispose pas d'éléments objectifs suffisants pour proposer une théorie de lecture.
L'analyse de composition de cette magistrale Annonciation ne s'arrête pas à la lecture de la perspective narrative : d'autres éléments comme les grilles harmoniques viennent interroger le curieux format que Léonard de Vinci à choisi pour illustrer le mystère de l'Annonciation. A découvrir...
N'hésitez pas à laisser votre commentaire, vos questions en pied de page, mon plaisir est de pouvoir échanger avec vous sur la composition picturale. Merci.
Guy MAUCHAMP
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