LA COMPOSITION
PICTURALE
Y avait-il un secret de composition picturale ?
Le meilleur secret est celui dont on n'a même pas conscience.
Paul Valéry
En fait, la question complète serait :
"Les peintres, depuis l'Antiquité jusqu'à la période moderne, avaient-ils un secret
pour composer leurs tableaux ?"
Personnellement je pense qu'il y avait une volonté de tenir secrètes les règles et techniques de composition que je dévoile ici grâce à l'archéologie picturale. Mais ce n'est que mon point de vue, cette question doit être réglée par les historiens de l'art. Je ne suis pas qualifié dans ce domaine pour pouvoir me prononcer légitimement.
Pour illustrer les questions et le problème que cela pose, je retranscris ici une conversation que j'ai eu à ce sujet en 2014 avec trois directeurs de musée français dont je tairai les noms.
Conversation avec un directeur de musée
Un directeur de musée :
- J'ai entendu dire que vous présentiez un discours sur la peinture sous forme d'une conférence ?
Guy Mauchamp :
- Oui. J'ai monté au printemps 2013 une conférence-spectacle dont le titre est "L'art secret des peintres" .
Directeur
- Tiens, vous dites "L'art secret des peintres"? Il y aurait un secret des peintres... ça se saurait s'il y avait un secret concernant la peinture, non ? Il y a peut-être encore quelques détails à découvrir, mais dans l'ensemble nous savons déjà beaucoup de choses dans le domaine de l'histoire de la peinture !
G. M.
- En fait d'art secret, je parle plus précisément de l'art de la composition picturale. A savoir, comment les peintres organisaient, échafaudaient, structuraient leurs compositions graphiques.
- Allons donc, la composition picturale est déjà largement évoquée dans les ouvrages sur la peinture. Et on sait pratiquement tout sur ce sujet non ?
- Attention à ne pas confondre les nombreux ouvrages anciens qui traitent des proportions du corps humain, ou de la perspective. Par contre il n'y a rien, aucun ouvrage ancien sur la composition picturale. Elle semble être recouverte par un secret qui en voile les aspects majeurs.
- Comme vous y allez ! Un secret de la composition picturale ! Mais enfin, ça se saurait de nos jours s'il y avait eu un secret au sujet de la composition. Avec les moyens modernes d'investigation, les photos aux rayons X, la spectrographie nucléaire, et que sais-je encore, les nombreux spécialistes scientifiques ont déjà vu tout ce qu'il y avait à voir ! Vous avez peut-être l'imagination tout simplement débordante...
- Oui, je comprends votre étonnement, mais comme le disait Paul Valéry, "Le meilleur secret est celui dont on n'a même pas conscience". Si les spécialistes n'ont pas conscience de certains modèles à rechercher, ils ne vont tout simplement pas les identifier. Si même ils les voyaient, ils n'iraient pas les répertorier comme des indices à traiter ou comme le départ de nouvelles investigations. C'est le problème du manque de modèle mental qui devient le frein.
- Je vous l'accorde. Mais est-ce à dire que vous, vous disposez de nouveaux matériels électroniques complexes qui vous permettraient de voir de nouvelles données scientifiques ?
- Non. Bien au contraire ! C'est tout l'inverse, ce que j'observe dans les tableaux sont d'humbles éléments, discrets et parfois minuscules qui, sans être cachés, n'attirent justement pas l'attention car ils ne sont pas vus comme des indices.
- Vous m'intriguez. Vous signifiez que vous disposez d'éléments concrets, objectifs, qui établiraient une nouveauté au sujet de la composition picturale ?
- Tout à fait ! Et je dispose de plus d'éléments matériels observables qu'il n'en faut pour poser les bases d'une théorie vérifiable et reproductible. Mon problème est de faire entendre qu'il y a un secret des peintres dont il serait intéressant de prendre conscience.
- Pour la difficulté à vous faire entendre... ça je le conçois bien. Il y a un tel nombre de personnes qui avancent des théories qui ne sont en fait que des projections personnelles... On ne peut être que méfiant ! Mais que serait selon vous ce dont il faut prendre conscience au sujet de la composition des peintres ?
- Le premier pas serait d'être dans l'ouverture en considérant que l'on ne sait pas tout sur la composition picturale. Admettre qu'il reste encore beaucoup à découvrir à ce sujet serait déjà une étape décisive pour aborder la structure d'une œuvre.
L'étape de la composition a été trop ignorée par les spécialistes, voire bafouée en arguant que c'est l'inspiration, l'instinct ou le talent de l'artiste qui font tout. Raphaël avait pourtant bien écrit que "tout est dans la composition". Et avec ce que je mets à jour grâce à l'archéologie picturale, on comprend que ce "tout" concerne principalement la narration à l'intérieur de l'œuvre, la mise en relation, le déroulement d'une histoire avec une image fixe.
- Cette partie serait pour l'aspect secret dont vous parlez ?
- Oui. D'ailleurs je laisserais les historiens de l'art en débattre, car ce n'est pas ma spécialité. Je n'ai pas les moyens d'affirmer qu'il y avait une volonté de maintenir un secret de la part des peintres. Le seul constat que je fais c'est que ni les peintres qui écrivaient, ni les historiens de l'art dans le passé n'ont évoqué ce sujet pourtant déterminant.
Je sais seulement qu'au fil des générations, l'enseignement de maîtres à élèves se transmettait oralement dans l'ombre des ateliers.
- Et s'il y avait un secret ce serait...?
- ...que les peintres usaient pour leurs compositions de règles et de techniques rigoureuses et précises, simples et complexes à la fois. Plus que de règles et techniques il s'agissait en fait de toute une conception de l'art, une façon de relier, de mettre en rapport pour essayer de raconter une histoire.
- Vous pouvez préciser lorsque vous parlez de règles, je ne vois pas bien.
- Il est possible de faire un parallèle avec un autre art que tout le monde connait : la poésie. Les poètes se sont inventé des règles d'écriture très rigoureuses et contraignantes. Les poèmes sont construits avec des pieds et des rimes. Cette technique leur assure une musicalité, un rythme pour embellir leurs propos. Cela n'a jamais empêché leur talent de s'exprimer, il semble même que ce soit le contraire ; ces règles sont un support, un canal pour l'inspiration du poète.
Il en va de même avec les peintres qui se sont inventé un ensemble de règles de composition rigoureuses et contraignantes. Ils traçaient un réseau de lignes qui leur permettait d'assurer une esthétique, de canaliser leur inspiration et surtout de tout mettre en relation pour raconter quelque chose.
- Mais alors vous voyez des lignes de composition partout dans les tableaux ?
- Non, pas plus que vous ne comptez les pieds des vers lorsque vous écoutez un poème. Vous vous laissez emporter par l'harmonie et le sens général. Ce n'est qu'en se penchant sur l'analyse d'une œuvre, sur sa composition, que les lignes de compositions apparaissent et permettent de mieux la comprendre.
- Si vous permettez, une dernière question : qu'est-ce qui vous motive donc tant dans cette recherche ?
- Le fait de comprendre et de vraiment voir me permet de mieux apprécier la beauté d'une œuvre. Ce travail m'invite à rentrer dans une relation sensible avec la peinture, et aussi dans une sorte d'intimité avec son auteur. Que ce soit avec Raphaël, Léonard de Vinci, Titien, Ingres, ou Courbet, lorsque leurs idées réapparaissent devant mes yeux étonnés, j'ai l'impression d'être à leur côté, dans leur atelier.
Mais l'élément majeur qui me pousse vraiment dans cette recherche est que les peintres font sans cesse usage dans leurs compositions de liens, de relations entre leurs personnages. Ils ont mis en place une philosophie du lien qui fait qu'aucun personnage, et même aucun objet n'est isolé, séparé du reste. Tout se tient, tout dépend de l'ensemble et fait du sens, comme dans l'univers et tout simplement comme dans nos vies.
Voir ces liens à l'œuvre dans les tableaux me réunifie moi-même et donne un sens profond à mes recherches.
Guy MAUCHAMP
Concernant la question d'un secret de composition dans la peinture, le peintre et écrivain Jacques Villon écrivait en 1963 :
"Dans le chaos pictural de ces dernières années, où la libération exacerbée de l'instinct individuel atteint la frénésie, vouloir reconnaître les disciplines harmoniques qui, à toutes époques, ont servi secrètement de bases à la peinture pourrait sembler une folie.
Mais cette folie est une sagesse. Un savoir nécessaire pour qui veut peindre. et nécessaire pour qui veut regarder. La charpente d'une œuvre, c'est aussi sa poésie la plus secrète - et la plus profonde."